Gérard AUGUSTIN-NORMAND

Gérard AUGUSTIN-NORMAND

Propriétaire

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Article publié sur www.Challenge.fr le 27/09/2012. Rédigé par Soizic Briand :

Sur la piste de Gérard Augustin-Normand

De la Bourse aux champs de courses , il joue , mais joue gagnant. Fortune faite avec Richelieu Finance, le voici devenu premier propriétaire de pur-sang en France. Ce qui fait courir Gérard Augustin-Normand.

« Mon père a mis cinquante ans à gagner le Jockey Club. Vous avez gagné en deux ans. C'est un scandale! » sourit le banquier David de Rothschild en saluant Gérard Augustin-Normand, fondateur de Richelieu Finance reconverti dans les courses de chevaux. Cette scène, qui a eu lieu cet été lors d'un mariage, dit bien l'incroyable chance de GAN, comme le surnomment les financiers et, maintenant, les turfistes. Sa société de gestion était une des plus prisées de la place. Et voici qu'en un rien de temps il enlève une des courses de plat les plus prestigieuses sans avoir d'élevage à la hauteur. Sa casaque blanche, toque violette s'impose contre toute logique.

A contresens

« C'est ahurissant! s'emporte un propriétaire de galopeurs. Pour celui qui a le respect des traditions, il fait tout à l'envers. Il veut un cheval dans toutes les courses, il ne vient pas les voir courir, il joue beaucoup... Tout ça n'a aucun sens. » Sauf à considérer qu'après la frénétique recherche du crack vient l'apaisement. Que s'il n'est pas d'usage d'avoir un élevage avant d'avoir un champion, d'un champion pourrait naître une belle écurie. Gérard Augustin-Normand y croit. Il a cru en Le Havre, son champion, au premier coup d'oeil. Et de financier, il est devenu propriétaire de pur-sang.
Le beau bai brun est là, dans son box du haras de La Cauvinière, oreilles dressées, attentif, ce matin du 14 septembre. Son nom, Le Havre, gravé sur le montant de muserolle gauche du licol qui ceint sa tête presque noire. Un prince avant sa sortie quotidienne. Qui mord en un éclair l'importun (ici, le photographe) l'approchant sans façon. « C'est un cheval magnifique, calme, généreux, s'extasie Gérard Augustin-Normand qui vient le voir dès qu'il peut. Il a un changement de vitesse fulgurant. Sans lui, je ne me serais pas lancé dans l'élevage. » Il l'avait repéré en 2007, aux ventes de Deauville. Jean-Claude Rouget, l'entraîneur palois, star des courses et des achats qui compte Gérard Mestrallet, Noël Forgeard, Hervé Morin ou François Bayrou parmi ses clients, l'avait acheté 100 000 euros sans savoir à qui il le proposerait. GAN l'obtint.
Par une journée de bruine de juin 2009, donc, Le Havre triomphe à Chantilly. Une tendinite l'éloigne de la compétition. On lui achète des poulinières, ces juments destinées à la reproduction. L'étalon va devenir le socle du « projet », comme disent Veneta Galabova, compagne de GAN, et Elisabeth et Sylvain Vidal, propriétaires du haras: avec lui pourrait naître un élevage. Comme celui de Jean-Luc Lagardère qui avait pris son envol grâce aux amours tarifées de son pur-sang Linamix. Quelques-uns de ses yearlings se sont déjà bien vendus. Le début d'une lignée.
En trois ans, Gérard Augustin-Normand est devenu le plus gros propriétaire de pur-sang français avec plus de 150 chevaux à l'entraînement. Dès 2007, il achète à « portefeuille ouvert » des yearlings, mais aussi des chevaux « à réclamer » lors de ces courses où tous sont à vendre. Avec 635 partants en plat cette année, il aligne 33 fois plus de compétiteurs que les Rothschild. L'objectif de dépasser les 100 premières places en 2012 - contre 98 en 2011 - est en bonne voie. « J'ai voulu aller un peu plus vite que beaucoup, explique le séducteur en jean et pull blanc. Mais dans les courses, la réussite en profondeur se fait dans la durée. On ne peut pas rattraper le temps perdu avec de l'argent. » La famille de l'Aga Khan, par exemple, sélectionne, croise, élève ses chevaux depuis plus d'un siècle, et cette valeur lui échappera à jamais. Il faut patienter, chose que déteste l'atypique financier. Premiers tests l'an prochain. En attendant, il ronge son frein.
Certains s'inquiètent ou médisent: depuis le début de l'année, Gérard Augustin-Normand achète beaucoup moins. « Normal, il commence à avoir des yearlings qui vont bientôt courir, dit Jean-Claude Rouget. Il a moins besoin d'en acquérir à l'extérieur. » Est-il pourtant sur le départ pour l'exil fiscal, comme d'autres plus riches? Il a très bien vendu Richelieu Finance en janvier 2008, alors qu'une crise de liquidités risquait de mettre à bas la maison. Ses dépenses dans le cheval laissent deviner une belle fortune. Mais lui affirme qu'il n'a « pris aucun billet pour partir ». Quant à ses dépenses inconsidérées, il les relativise: « Avec ce que j'ai déboursé, je n'aurais pas pu m' offrir le plus petit Picasso! » Dans l'ombre du vice du jeu, il cherche d'autres lumières. Passe deux mois en Méditerranée sur le Castor, le catamaran de 57 pieds qu'il s'est fait construire... alors qu'il a le mal de mer. Pour combattre la nausée ou s'éloigner de toutes tentations. Des vacances en famille avec Neta, sa compagne, et leur fils, Louis, né l'année dernière, comme les premiers « produits » de Le Havre. Il est à un moment charnière. Peut-être est-il en train de changer.

Colérique

Gérard Augustin-Normand est homme pressé. Agité derrière le calme qu'il affiche en société. A 61 ans, il continue de bouillir si on entrave sa marche. Les anecdotes fourmillent. « Il a voulu donner une leçon à deux golfeurs trop lents, se souvient Antoine Sauty de Chalon, ami d'enfance et ex-patron d'Euroconseil Assurance (ECA). Il prend son bois, frappe la balle qui tombe sur l'épaule de l'homme, rendu furieux. Il s'agissait du premier client de Richelieu Finance! » GAN se confond en excuses, envoie trois caisses de bon vin à sa victime. Le risque n'empêche jamais sa colère. Même un ascenseur trop lent peut se voir agonir d'invectives. « Il fallait décrocher le téléphone à la première sonnerie, sinon il devenait très désagréable », se rappelle Sassan Golshani, ancien collaborateur qui dirige la société de gestion Assya Asset Management France. Face à ses exigences, certains salariés sont partis. Les autres lui vouent une admiration sans partage. « Il adore voir les gens le dépasser, assure Nathalie Pelras, directrice adjointe de la société de gestion KBL Richelieu, qu'il avait recrutée en 1994. Il a un oeil pour détecter les talents, mais mieux valait ne pas le décevoir. »
Quand Gérard Augustin-Normand croit au potentiel, il octroie tous les moyens. Richelieu Finance a été la première société de gestion indépendante à équiper ses analystes de deux écrans pour leur faciliter le travail. Ses salariés étaient nombreux et très bien payés. Sur le même principe, aux courses, alors que la tradition veut qu'un propriétaire se concentre sur quelques entraîneurs, il en a plus d'une vingtaine. Il parie sur les hommes autant que sur les chevaux, et offre alors toute sa confiance. « Il laisse carte blanche, se réjouit Jean-Claude Rouget, son principal entraîneur. Un grand avantage comparé aux autres propriétaires, qui peuvent vous pousser à faire courir un cheval trop tôt. » Laisser sa chance, c'est aussi augmenter les siennes de découvrir une pépite.
De la Bourse aux courses, si la lettre initiale change, l'esprit reste le même. L'excellence. L'adage « le mieux est l'ennemi du bien » l'agace au plus haut point. « Quand on a connu le mieux, comment se satisfaire du bien? » questionne l'insatisfait. Richelieu Finance a atteint jusqu'à 6 milliards d'euros d'encours, pour un investissement initial de 100 000 francs (15 200 euros), en 1985. Son écurie est couverte de victoires, mais il lui en faut plus. Ses amis du Bellini, ce restaurant du XVIe arrondissement de Paris qui accueille la fine fleur de l'hippisme, s'amusent toujours de l'entendre dire « j'ai tout raté ».

Intuitif

Qu'est-ce qui l'aiguillonne ainsi? Ses brillants aïeux? En 1816, Augustin Normand transféra le chantier naval de son père de Honfeur au Havre, et produira la première hélice marine. Son fils, Jacques-Augustin Normand, « obtint les succès les plus brillants et acquit la réputation universelle qui s'attache à son nom dans la construction des bâtiments extra-rapides », peut-on lire dans sa nécrologie publiée en 1907 dans la revue Le Génie civil. Le plus vieux chantier naval du Havre a été liquidé en 2000, mais il reste une rue et une digue à son nom. Un héritage qu'il faut porter. Un autre qui coule dans son sang comme un feu brûlant.
GAN découvre l'univers de la finance comme celui des courses enfant, avec son grand-père maternel, propriétaire-éleveur et ancien président de la société des courses de La Roche-Posay. Il y va comme d'autres vont au Jardin d'acclimatation. Goûte l'excitation au parquet du palais Brongniart comme celle de Longchamp ou de Vincennes. L'éducation se fait au son de cloches qui signalent l'ouverture des marchés et celle des stalles de départ. Les tableaux de cotations et leurs chiffres mystérieux disent la valeur du nom qui les précède. Deux mondes bruissants, bruyants, loin de l'hypocrisie policée et de la violence sourde d'une bourgeoisie normande décrite par Guy de Maupassant, son auteur préféré. Des univers qui se font écho: « La compétition et le jeu, c'est parfois comparable à la Bourse, mais les émotions sont plus fortes. » Les deux sont une passion, pas un travail.
Intuitif et attentif aux détails, Gérard Augustin-Normand est un des premiers à sentir ce que pourrait donner la réforme du marché monétaire qui sera mise en place en 1985. « Il fait partie de ces quelques personnes issues de charge d'agent de change qui ont su créer une activité financière basée sur la gestion », souligne Jean- Pi erre Pinatton, président du conseil de surveillance d'Oddo & Cie, ex-agent de change. A la fin des années 1980, la charge Compiègne-Augustin-Normand SA profite de la déréglementation pour innover en lançant un tarif de courtage basé sur la performance. « Pour la première fois, l'intérêt du client était lié à celui de l'entreprise », se souvient Nathalie Pelras. En Bourse comme aux courses, il aime sortir des sentiers battus. Quand le marché financier prise les sociétés très valorisées, il favorise les petites sociétés, les entreprises sous- cotées. « C'est un homme de conviction. Il n'a pas peur d'être «contrarian» », dit Edouard Carmignac, président de Carmignac Gestion, en utilisant le terme anglais désignant un investissement à l'inverse du marché. Bien que j'ignore tout du monde des courses, il me semble qu'il l'aborde de la même manière. » GAN peut vendre quand tout le monde achète, acheter quand les autres partent en courant. Amateur d'OPA, il n'hésite pas à prendre des positions fortes quand il soupçonne un rachat à venir, comme il l'a fait pour Elf, avalé par Total. Et quand il a un avis, il le fait savoir, quitte à bousculer l'establishment.

Trouble-fête

Dans l'univers feutré des banques, il fait figure d'empêcheur de ronronner en rond. Tel Bel-Ami, héros de son roman d'adolescence préféré, il fait de la communication son arme principale. Parle régulièrement aux médias. Fait entendre sa voix. Autour de Richelieu, nom trouvé par Antoine Sauty de Chalon à partir de celui de la rue où se situait le premier siège, et qui évoque les mousquetaires, GAN construit un univers: la gestion Cardinale, avec ses valeurs préférées. Et s'il ne gagne pas à tous les coups, cela l 'affecte moins que de rater une bonne affaire quel qu'en soit le domaine. Frustration qui n'a fait que s'accentuer: « En Bourse, il est toujours possible de racheter le lendemain ; avec les chevaux, l'opportunité ne repasse pas. » Le Havre sera-t-il celui qui lui offrira un empire? C'est son pari.

Rédigé par Soizic Briand